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VOLTAIRE.

à titre de bienséances, de convenances. Par le Dictionnaire de l’Académie et par les œuvres des grands écrivains, de Racine surtout, l’idée de la pureté du langage s’est réalisée, et il n’est plus de pensée qui, pour se produire devant les « trois mille connaisseurs » du public parisien, ne doive s’habiller du vocabulaire restreint et des images communes que l’usage des maîtres autorise. Le bon goût est une partie du bon ton. On se plaît à ces servitudes, qui distinguent l’homme du monde du peuple, le Français poli du barbare Anglais et du grossier Allemand, qui d’autre part atténuent l’inégalité des conditions par l’égalité de la culture. Le bon goût est une franc-maçonnerie des esprits.

Personne n’a cru plus que Voltaire au bon goût. Personne ne l’a eu plus pénétrant, et plus éveillé, plus vif dans ses plaisirs, plus délicat dans ses dégoûts, plus attentif à ses limites. Il a prolongé à travers tout le règne de Louis XV, entre Marivaux et Vadé, entre La Chaussée et Rousseau, et jusqu’à la veille de Mirabeau et de Chateaubriand, la noblesse aisée, l’élégance limpide dont il avait appris le secret d’Hamilton et de La Fare. Jamais de manière, ni de trivialité, ni d’enluminure, ni de lourdeur : la plaisanterie, la couleur, le sentiment, tout est clair, uni, léger dans son style ; il a du goût jusque dans l’injure et dans l’ordure. Il se refroidit et s’empêtre à force de scrupules, et sa vigueur originale croît en raison inverse de la dignité, et par conséquent en raison directe de la liberté des genres : dans tous les grands genres, il y a trop de règles, des modèles trop impérieux, des tons trop fixés. Aussi