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LE GOÛT DE VOLTAIRE.

provoquant ce fin et sûr esprit à développer ses jugements littéraires.

Aujourd’hui qu’on ne songe plus à lui donner autorité, et qu’il n’est plus pour nous que de l’histoire, il est bien joli à regarder, ce goût français du xviiie siècle dont Voltaire est un des plus parfaits représentants. Goût classique, dit-on d’un mot : mais que ce classique est loin déjà de Racine et de Boileau ! La querelle des anciens et des modernes a mis fin au culte des anciens et à la sévère discipline du grand art classique. Dans les collèges, les jésuites façonnent un goût fin, délicat, timide, et moins touché de la simple grandeur que du gracieux et du spirituel. Pendant la triste vieillesse de Louis XIV, Versailles a cédé aux dernières ruelles, aux premiers salons, aux petites cours princières, la protection et la domination de la littérature. Moins de souci de la pure beauté ou de la majesté froide, plus d’agrément, d’élégance, de volupté piquante, une politesse aisée et exquise de langage, qui ne se guinde ni se débraille. On veut du noble toujours, mais du noble qui soit aimable. La littérature est une décoration de la vie, elle est une des jouissances dont se compose le bonheur, fin de notre nature. Le plaisir est la suprême loi, la justification également de la tradition et de la nouveauté. Aux modèles anciens se sont substitués des modèles nationaux, nos chefs-d’œuvre du xviie siècle ; le respect qu’on a pour eux impose l’imitation. Par l’éducation des collèges et du monde, les définitions et les règles classiques des genres littéraires sont entrées dans la conscience des générations nouvelles, et commandent