Page:Lanson - Voltaire, éd5.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
83
VOLTAIRE COURTISAN.

comme une seconde Angleterre, plus capiteuse et plus stimulante. Entre le roi et tous ces gens d’esprit aventuriers qui ne demandaient qu’à tirer tous les voiles de tous les sanctuaires, — l’original marquis d’Argens ; ce fou de La Mettrie, le médecin athée ; le profond et mordant Maupertuis ; le joyeux major Chasot, le sérieux et sûr Darget, lecteur et secrétaire de Frédéric ; l’aimable et adroit Algarotti, le newtonien pour dames ; l’honnête milord Maréchal et son frère ; le gros milord Tyrconnel envoyé de France, épicurien et caustique, et cet amusant fripon de Pöllnitz, le seul Allemand de la réunion, qui avait roulé à travers le monde et les religions, et savait toute la chronique scandaleuse de l’Europe, — dans cette atmosphère tout Voltaire s’ouvrit. Il sortit de là armé et entraîné pour la campagne de Ferney, maître des arguments qui sapent l’Église, maître de la tactique qui conquiert le public.

Il avait fait pour Frédéric Micromégas, où la forme du conte philosophique se précise. Il avait fait ses premiers dialogues à la manière de Lucien. Il avait lancé la bouffonnerie d’Akakia. Il emportait de Berlin, avec la croix et la clef, avec l’Œuvre de Poésie et une grosse poche de rancune, trois engins d’une puissance redoutable, le conte, le dialogue, la facétie : c’est avec eux surtout qu’il travaillera pendant les vingt dernières années de sa vie à faire sauter les institutions et les croyances oppressives.