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VOLTAIRE.

Il était misérable, inquiet. Paris lui était fermé, la France mal sûre, l’Allemagne odieuse. La Suisse l’attira par sa liberté. Déjà de Berlin, il avait tâté Messieurs de Berne qui ne furent pas tentés de recevoir un tel hôte. Enfin, après une halte à Lyon où le public au théâtre, l’Académie en séance lui firent un accueil enthousiaste, mais où le cardinal de Tencin n’osa l’inviter à dîner et lui fît dire que le pays ne lui convenait pas, il entra à Genève le 12 déc. 1754, sur le soir, dîna chez le Dr Tronchin, et alla se loger au château de Prangins qu’on lui prêtait.

Les années d’apprentissage de Voltaire sont finies. Il était temps : il touchait à la soixantaine. Berlin fut sa dernière école. Il y apprit la douceur d’être son maître, et maître chez soi. La leçon fut d’autant meilleure qu’elle fut forte.

Cependant Voltaire avait moins perdu son temps chez le roi de Prusse que chez le roi de France. La liberté qui lui manqua ne fut que celle de l’humeur et des passions : du côté de la pensée on n’était pas esclave dans le « palais d’Alcine ». Voltaire travailla ; il acheva son Siècle de Louis XIV, qui parut à Berlin chez Henning, imprimeur du Boi (1751).

Et quelle excitation, quel élargissement pour l’esprit que ce contact de deux ans et demi avec un roi qui emportait Bayle dans son bagage de campagne, et qui n’avait peur d’aucune idée ! Ces soupers délicieux, dont après vingt-cinq ans il ne pouvait encore parler qu’avec ravissement, ces libres soupers prolongés si avant dans la nuit que les domestiques plantés debout le long des claires boiseries sentaient les jambes leur rentrer dans le corps, furent pour lui