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VOLTAIRE COURTISAN.

timents. Éblouissement d’abord, et enthousiasme : les grenadiers, l’opéra, les soupers, les honneurs, la pension, tout le ravit. Être aimé, cajolé d’un conquérant, quel triomphe. Un peu d’inquiétude pourtant le travaille en s’engageant : mais le roi de Prusse « est le meilleur des hommes ». À l’automne il déchante, et à Noël il regrette la Seine et sa maison de Paris. Déjà le charme est bien rompu. Les raccommodements et les brouilleries, les moments sereins et les dépits amers se succéderont jusqu’à l’irrévocable désillusion :

« Je vais me faire pour mon instruction un petit dictionnaire à l’usage des rois. Mon ami signifie mon esclave » (18 déc. 1752).

On trouvera dans la correspondance et dans Desnoiresterres le détail de cette histoire comique et navrante. Les caractères du roi et du poète se sont heurtés : ce sont deux grands hommes susceptibles, et qui supportent mal la moquerie dont ils aiment à user. Le roi est peu sûr : despote, dur, méprisant, sans ménagement pour l’amour-propre et la dignité des hommes, aggravant de persiflage français le caporalisme prussien, et blessant de son esprit ceux qu’écrase son pouvoir. Il meurtrit et humilie ceux qu’il appelle ses amis, brutalement, sans générosité. Voltaire est vain, exigeant, tracassier, jaloux : jaloux de Baculard d’Arnaud qu’on lui sacrifie, jaloux de Maupertuis qu’il ne parvient pas à détruire : toujours harcelé et toujours harcelant. L’entourage du roi, d’abord incliné devant la faveur du poète, épie les occasions de les brouiller : on rapporte à l’un les mots de l’autre, en les envenimant. Puis il y a ce