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VOLTAIRE COURTISAN.

société ; la reine dévote et froide ; Mme de Pompadour amicale, mais sans lier partie, protégeant avec éclat un rival du poète, le vieux tragique Crébillon, susceptible aussi, et l’oreille toujours tendue pour saisir les allusions à ses origines bourgeoises ; le duc d’Ayen inquiet de l’ingérence de cet auteur dans la direction du théâtre des Petits-Cabinets ; une malignité générale des courtisans jaloux de ce petit personnage qui, avec de l’esprit, venait leur disputer leur pâture, et disposés à lire des impertinences dans toutes les bagatelles qui échappaient à sa verve : c’étaient bien des écueils entre lesquels Voltaire ne put mener sa barque. Il voyait ce qu’un bon courtisan ne doit pas voir, et disait en anglais à Mme du Châtelet qui perdait 80 000 francs en une nuit au jeu de la reine, qu’elle avait joué avec des fripons : ce propos fut compris, fit scandale, et il alla se cacher à Anet. Il revint, et sa disgrâce se tira lentement, sans éclat : il « réalisa » prudemment les bontés passées du roi en se défaisant pour 60 000 livres de sa charge de gentilhomme de la Chambre.

Il courait avec Mme du Châtelet de la grande scène de Versailles aux petites cours princières, à Lunéville et Commercy, chez le bon roi Stanislas, à Sceaux et Anet chez la duchesse du Maine, payant son écot en comédies et tragédies, et en jolis contes philosophiques : Memnon (1747), qui devint Zadig est né probablement à Anet.

Malgré ces contes, malgré Sémiramis et Oreste, les cinq ou six années où Voltaire fit le courtisan furent les années les plus stériles, les plus gaspillées