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VOLTAIRE À CIREY.

Pour l’âme, l’attitude de Voltaire est nette : « Je n’assure point que j’aie des démonstrations contre la spiritualité et l’immortalité de l’âme ; mais toutes les vraisemblances sont contre elles[1] ». Il reprend la proposition de Locke que Dieu a pu donner à la matière la propriété de penser. Proposition contradictoire pour un cartésien, qui définit la matière par l’étendue ; pour Voltaire, non ; car il a commencé par nier que l’étendue fût l’essence de la matière. Ces noms incompréhensibles de matière et d’esprit ne sont pour lui que les termes généraux sous lesquels nous classons deux ordres de propriétés qui peuvent se rapporter à une substance unique.

Mais pourquoi faire intervenir Dieu ? pourquoi ne pas admettre, avec Collins, que la pensée peut se produire naturellement « par une structure et une organisation particulières de la matière[2] » ? C’est que si la substance qui possède les propriétés matérielles pouvait, en se modifiant, produire la pensée sans un don spécial de Dieu, ce Dieu lui-même disparaîtrait, l’intelligence organisatrice se confondrait dans le monde organisé, et le panthéisme sortirait du déisme : or Voltaire redoute le spinozisme.

L’immortalité, rationnellement inintelligible, est une hypothèse inutile à la société.

Sur la liberté. Voltaire est dans un grand embarras. Il ne professe pas le déterminisme rigoureux qu’il expliquera trente ans plus tard, en avouant que ses idées ont changé[3]. Il admet la liberté. Il consent

  1. XXII, 215.
  2. 1er Rép. à Clarke, p. 113
  3. XXVI, 57.