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VOLTAIRE À CIREY.

(20 février 1743), il avait paru dans la loge de Mmes de Boufflers et de Luxembourg, et il avait baisé la main de celle-ci aux applaudissements enthousiastes du public. Depuis les jours de Zaïre, il n’avait pas connu pareil triomphe. Ces joies l’enivraient, et lui faisaient trouver fade la paix du vallon écarté où l’amour le rappelait.

Voilà comme à vol d’oiseau ces dix ans de la vie de Voltaire. Si nous voulons le voir de plus près dans son intérieur, suivons cette « caillette » de Mme de Graffigny qui vint de Lorraine à Cirey en 1738. Voltaire, élégamment vêtu et bien poudré, la reçoit avec de grandes embrassades, pleure à ses malheurs. Il lui montre sa chambre, ses tableaux, ses porcelaines, ses bijoux, ses pendules, sa vaisselle d’argent : il a en tout « un goût extrêmement recherché ». Dans sa galerie elle voit ses livres, ses instruments de physique. L’appartement d’Émilie est magnifique aussi, et rend la visiteuse plus sensible à la « saloperie repoussante » du reste du château.

Elle soupe chez Voltaire. Le valet de chambre du poète se tient derrière sa chaise ; on lui passe tout « comme les pages aux gentilshommes du roi » ; Voltaire ne reçoit rien d’une autre main.

Le souper est « propre et délicat », assaisonné de ces « discours charmants, discours enchanteurs » qui parfois le prolongent jusqu’à minuit. « De quoi ne parla-t-on pas ? Poésie, sciences, arts, le tout sur le ton de badinage et de gentillesse. »

Parfois Voltaire lit à la dame enthousiasmée son Siècle de Louis XIV, sa Mérope, des épîtres, ses discours sur l’homme, sa Pucelle. On joue la comédie