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VOLTAIRE.

qui devait brouiller Voltaire avec le ministère français. La cause était si flatteuse, que le poète passa sur le procédé.

Tout s’embellissait pour lui dans la joie de respirer l’air d’une cour. Il était en grande familiarité avec les sœurs du roi ; il allait passer deux semaines chez l’originale Wilhelmine, margrave de Baireuth, qui lui montrait son petit Versailles, son Ermitage ; il en revenait étourdi d’opéras, de comédies et de chasses, et l’âme charmée. Il fleuretait avec la future reine de Suède, la princesse Ulrique, et lui servait un madrigal exquis qui, du point de vue du protocole, parut impertinent :

Souvent un peu de vérité
Se mêle au plus grossier mensonge ;
Cette nuit, dans l’erreur d’un songe,
Au rang des rois j’étais monté.

Je vous aimais, princesse, et j’osais vous le dire !
Les dieux à mon réveil ne m’ont pas tout ôté :

Je n’ai perdu que mon empire[1].

Que Cirey, ce jour-là, et l’incomparable marquise étaient loin.

La pauvre femme avait le cœur serré en voyant avec quelle facilité son amant la laissait là pour des princes, ou pour des comédiennes , pour Frédéric ou pour la Gaussin[2]. Il lui revenait pourtant. Il avait toujours de l’affection pour elle. Mais il ne pouvait plus se plaire dans cette liaison et à Cirey, qu’à la condition de s’échapper sans cesse. Il était las de la retraite et las du tête-à-tête. Il avait envie de jouir de sa gloire. À la première de Mérope

  1. X, 528.
  2. Arch. de la Bastille, XII, 24.