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VOLTAIRE À CIREY.

qui supprima un recueil où avaient paru de fort innocents morceaux du Siècle de Louis XIV. De dépit, et convaincu que l’histoire ne pouvait s’écrire en France, il laissa l’ouvrage à demi achevé, et entreprit à huis clos, pour Émilie toute seule, l’étude de l’histoire universelle. Plus dangereuse fut l’affaire de Mahomet qui, accueilli à Lille en 1741 par un enthousiasme universel, fit l’effet à Paris l’année suivante d’une impiété infâme : il fallut retirer la pièce pour empêcher le Parlement et son Procureur général de réveiller l’arrêt des Lettres anglaises.

Vers 1739, Voltaire devient très voyageur. Un procès de son amie les conduit ensemble à Valenciennes, à Bruxelles, à La Haye. Il fait imprimer dans cette dernière ville la belle réfutation de Machiavel, que le prince de Prusse avait composée, et il s’emploie sans succès à la supprimer, sur la demande de Frédéric, qui, devenu roi, ne se sent pas du tout disposé à pratiquer les maximes de son livre. Un peu désabusé de la philosophie des souverains, Voltaire ne résiste pas à l’amitié du conquérant de la Silésie. Il va le voir à Clèves, à Rheinsberg ; il pousse jusqu’à Berlin en 1740.

Il y retourne en 1743, par un revirement de fortune, avec une mission du gouvernement français. Il s’agissait de décider le roi de Prusse, notre ancien allié, qui nous avait cyniquement lâchés, une fois nanti de la Silésie, à reprendre les armes pour nous aider : l’affaire n’était pas facile. Voltaire y échoua, ni plus ni moins que les diplomates de profession. Mais il fut comblé de caresses : même pour l’avoir tout à lui, le roi de Prusse essaya une petite trahison