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VOLTAIRE À CIREY.

Elle savait le latin, l’italien, l’anglais. Elle était passionnée pour les mathématiques, la physique, la métaphysique, et les comprenait. Elle lisait Leibniz, et avait pour amis Maupertuis et Clairaut. Elle « pensait ». Une autre bonne langue du siècle dit qu’elle faisait tous les ans la revue de ses principes. Elle écrivait sur des matières de science et de philosophie. On l’estimait pédante. Elle était sincèrement sérieuse. Elle préférait l’application de l’esprit aux bagatelles de la société. Elle n’était pas dévote, ni même croyante. Elle n’était ni tracassière, ni médisante, ni méchante. Comme la maîtresse de M. de Mopinot, elle eût pu dire qu’elle entendait que, sauf au lit, on la traitât en homme. Elle avait l’esprit viril, le cœur viril : droite, sûre, capable d’actif dévouement ; à tout prendre, valant mieux que les femmes qui se moquaient d’elle.

Voltaire vint donc loger en son château, à côté du discret marquis : c’était encore régulier alors. Il fit ménage commun avec eux, leur avançant de l’argent dans leurs embarras, embellissant la maison où il fit construire pour lui une galerie avec une porte d’un joli goût rococo, un peu trop richement chargée de toute sorte d’ornements, attributs et devises.

Dans cette retraite, point de tumulte mondain, point de défilé de visiteurs. On vit en famille, Monsieur, Madame, l’ami, le fils, le précepteur Linant, pauvre diable qu’on ne renvoie pas parce qu’il ne trouverait pas ailleurs à vivre, la sœur du précepteur qui n’est guère moins paresseuse et incapable que lui, et qu’on garde également par pitié, quelque voisin ou voisine comme le « gros chat » Mme de