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VOLTAIRE.

L’endroit est charmant, mais en effet assez retiré, en dehors des grandes voies de communication ; par Saint-Dizier, on était à deux pas de la frontière du Barrois, et à la première alerte on passait des États du roi de France dans le domaine du duc de Lorraine. Cirey était le repos, l’étude et la sécurité.

Il était l’amour aussi, du moins au début. La marquise du Châtelet, à qui cette terre appartenait après avoir tâté de quelques amants, était devenue en 1733, à vingt-sept ans, la maîtresse du poète. Après le mystère de l’auberge de Charonne où ils allaient manger des fricassées de poulet, et celui des parties carrées chez Voltaire avec la duchesse de Saint-Pierre et M. de Forcalquier, la liaison devint publique, et, par sa durée, respectable, selon les mœurs du monde.

Représentez-vous une femme grande et sèche, le visage aigu, le nez pointu ; voilà la figure de la belle Émilie : figure dont elle est si contente, qu’elle n’épargne rien pour la faire valoir : frisures, pompons, pierreries, verreries, tout est à profusion ; mais comme elle veut paraître belle en dépit de la nature, et qu’elle veut être magnifique en dépit de la fortune, elle est obligée, pour se donner le superflu, de se passer du nécessaire, comme chemises et autres bagatelles[1].

C’est une femme qui parle ainsi, et c’est Mme du Deffand : deux raisons d’en rabattre. Point du tout laide, et même fort agréable, Mme du Châtelet était certainement coquette, aimant la parure, de tempérament ardent, et hardiment, aristocratiquement impudique, jusqu’à se baigner devant un valet de chambre, qui n’était pas pour elle un homme. Elle était assez joueuse.

  1. Mme du Deffand, Corresp. complète, t. II, p. 762.