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VOLTAIRE.

sciences acceptables chacune à part pour la religion, la notion menaçante de la science, une dans son esprit et dans sa méthode. De toutes ses remarques sur l’Angleterre, il fait un bloc qu’il jette sur les institutions fondamentales de la France. Ôtez ce qu’il critique : l’unité religieuse oppressive, la richesse du clergé, sa puissance politique ; le despotisme royal ; les privilèges de la noblesse. Supposez ce qu’il désire : l’égalité du marchand et du noble, la proportionnalité de l’impôt, la séparation de la foi et de la raison, la souveraineté de la méthode expérimentale, la liberté de la science et de la littérature. Que reste-t-il de la France de Louis XV ? N’y a-t-il pas toute une révolution dans ce programme ?

Les Lettres philosophiques sont la première bombe lancée contre l’ancien régime. Voilà pourquoi elles arrachèrent le Parlement aux disputes sur la Bulle et le coalisèrent, pour les étouffer, avec la cour protectrice des évêques et des jésuites.

Voilà pourquoi les bons Pères qui ne désespéraient pas encore de leur élève — puisqu’il n’aimait pas Pascal — trouvèrent la suppression de son livre fort sage.

Jansénistes, ultramontains et ministres avaient pour la première fois aperçu la figure nouvelle du philosophe.

Qu’est-ce donc qu’un philosophe ?… C’est une espèce de monstre dans la société qui ne doit rien aux mœurs, aux bienséances, à la politique, à la religion : il faut s’attendre à tout de la part de ces messieurs-là[1].

  1. L’abbé Molinier, p. 81.