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VOLTAIRE EN ANGLETERRE.

Mieux que le Charles XII, il fut une révélation de la prose voltairienne, limpide, alerte, aiguisée, incomparable filtre d’idées, et mousse piquante d’esprit. Nous sommes tentés aujourd’hui de dire : clarté superficielle, agrément léger. L’abbé Prévost, pourtant, trouvait les lettres sur Locke et Newton trop sérieuses, pas assez égayées de fiction agréable. Voltaire n’est pas un pur artiste qui écrit pour se contenter. Il prend la mesure du public qu’il veut gagner.

Dans ces Lettres, la philosophie rejetait les attitudes détachées et les malices couvertes de Bayle, les déguisements de Fontenelle et de Montesquieu : elle entrait en scène, hardiment, simplement ; elle se présentait à visage découvert, avec son arme empoisonnée, cette ironie perpétuelle qui exaspérait le Procureur général.

Voltaire exerçait son droit de penser tout haut sur toutes les choses jusque-là soustraites à la discussion publique. Dans l’assoupissement où le vieux cardinal de Fleury s’efforçait de tenir les esprits, ce fut comme un coup de clairon. Ces insolentes lettres indiquaient tout un programme révolutionnaire. Ce n’est plus ceci ou cela, une critique partielle et décousue : Voltaire ramasse tout, liberté politique, liberté religieuse, liberté philosophique, amélioration de la vie humaine, méthode expérimentale, valeur sociale de l’esprit. L’optique même de Newton n’est plus quelque chose d’innocent : elle apparaît moins dans son résultat que dans sa méthode, comme une conquête de la liberté scientifique. En liant Newton et Locke à Bacon, il fait surgir, au-dessus des