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VOLTAIRE.

Il savait bien que tout était suspect venant de lui. Son indignation sur le traitement fait à la Lecouvreur avait failli lui faire une affaire. Il avait dû porter au compte de feu Chaulieu son Epître à Uranie. Même son Charles XII n’avait pu avoir de privilège : pour bien parler de Stanislas, père de la reine de France, il n’avait pas assez ménagé son ennemi le roi de Saxe, Auguste II. L’épître dédicatoire au marchand Falkener avait attiré des difficultés à Zaïre. Un soulèvement général avait accueilli le Temple du goût, ce joli spécimen de critique voltairienne, où se mêlaient la tradition classique, le goût mondain et l’humeur personnelle. Il y avait pourtant rentré les griffes. Mais les libertés qu’il prenait si modérément parurent scandaleuses. Les gens de lettres qu’il avait égratignés, crièrent ; ceux qu’il avait omis, encore plus. Un grand seigneur se plaignait d’un éloge : sa qualité ne lui permettait pas de recevoir un compliment imprimé.

Voltaire pourtant achève ses Lettres sur l’Angleterre, en remet une copie à Thieriot qui se charge de les faire paraître à Londres en anglais et en français, une autre à Jore, un libraire aventurier qui accepte les risques de l’entreprise. Un moment il a espéré un privilège, ou une permission tacite : le cardinal Fleury a ri aux lettres sur les quakers, que Voltaire lui a lues, en faisant des coupures. Le censeur, l’abbé de Rothelin, ne voit de difficulté que pour la XIIIe lettre, la lettre sur Locke et sur l’âme. Il faut enfin renoncer à tout espoir d’autorisation ou de tolérance. Voltaire s’indigne : il écrit, sans la publier, sa lettre à un premier commis (juin 1733),