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VOLTAIRE EN ANGLETERRE.

dans un désespoir qui va jusqu’à l’abrutissement. J’ai perdu mon ami, mon soutien, mon père. Il est mort entre mes bras, non par l’ignorance, mais par la négligence des médecins. Je ne me consolerai de ma vie de sa perte, et de la façon cruelle dont je l’ai perdu[1]. »

Mais, avec Voltaire, la vie avait vite le dessus. Il n’oublia pas Maisons, il le logea dans le Temple du goût. Mais Ériphyle ne pouvait attendre : il fallait l’achever, la corriger. Il fallait placer Linant, un jeune homme qui faisait bien les vers, tirer Jore l’imprimeur d’un mauvais pas. Il ne pouvait s’attarder dans la « douceur de pleurer ».

Cependant peu à peu sa fièvre anglaise sortait en écrits dont le public était un peu surpris. Le poète se faisait historien dans le Charles XII, historien exact, impartial, justicier, sans flagornerie et sans satire, philosophe sans polémique, qui montrait par un récit vif et coloré ce que peut un grand homme, avide de gloire et de guerre, pour la ruine d’un pays. Shakespearien et républicain dans Brutus (joué le 11 décembre 1730), dans la Mort de César qu’il n’osait encore risquer à la scène, shakespearien dans Ériphyle qui tombait (7 mars 1732), shakespearien encore, mais à la française et galamment, dans cette tendre et brillante Zaïre si bien faite pour les dames, chef-d’œuvre du style Louis XV dans la tragédie, dont la représentation (13 août 1732) fut un triomphe, il était impatient de risquer une plus grosse partie, et de dire aux Français ses réflexions sur l’Angleterre.

  1. T. XXXIII, p. 230.