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VOLTAIRE.

avait des traits contre la vénalité des charges de justice et des emplois militaires, contre le poids des impôts, etc. Sous la pression de l’opinion publique et des Lettres persanes, Voltaire se révélait parlementaire[1]. De toute cette classique épopée, dont la régularité théâtrale s’enjolivait d’esprit, d’impertinence et de volupté, émanaient, selon un critique contemporain, « des impressions dangereuses, surtout dans un temps où la liberté de juger nous a peut-être menés déjà trop loin[2] ».

Aussi les Anglais penseurs reconnaissaient-ils un des leurs dans le poète de la Henriade. Avant qu’il eût passé le détroit, en 1724, Pope déclarait à Bolingbroke sa sympathie pour un tel esprit.

« Il me semble que son jugement de l’humanité, sa façon d’observer les actions humaines d’un point de vue élevé et philosophique, est l’une des principales caractéristiques de cet écrivain, qui, pour être un homme de sens, n’en est pas moins un poète. Ne souriez pas si j’ajoute que je l’estime pour ces honnêtes principes et cet esprit de vraie religion qui brille à travers l’ensemble, et d’où, sans connaître M. de Voltaire, je conclus à la fois qu’il est libre penseur et ami du repos ; pas bigot, et pourtant point hérétique ; honorant l’autorité et les lois nationales sans préjudice de la vérité ou de la charité ; plus avancé dans l’étude de la raison que de la controverse, et de l’humanité que des Pères ; un homme, en un mot, digne par son tempérament raisonnable de cette part d’amitié et de familiarité dont vous l’honorez[3]. »

On ne peut donc pas dire sans réserves avec M. Morley : « En allant en Angleterre Voltaire était un poète ; en revenant, c’était un sage ». L’Angleterre a mûri, armé, excité Voltaire : elle ne l’a pas fait.

  1. T. VIII, p. 123.
  2. Réflexions critiques sur un poème intitulé La Ligue (attr. à Bonneval), 1724, p. 8.
  3. Ballantyne, p. 71.