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LA JEUNESSE DE VOLTAIRE.

mais s’il est, c’est un Dieu raisonnable et indulgent, un Dieu des bonnes gens qui les bénit d’obéir à l’instinct.

On voudrait savoir si l’incrédulité voltairienne se fit dès lors didactique et agressive, et ce qu’était cette fameuse épître à Julie « marquée au coin de l’impiété la plus noire » qui fit frémir en 1722 le dévot Rousseau. Faut-il, comme on fait d’ordinaire, l’identifier avec l’Épître à Uranie qui courut dix ans plus tard et fut imprimée en 1738 ? Celle-ci est une argumentation rigoureuse contre la religion révélée : l’auteur conclut en disant à Dieu :

Je ne suis pas chrétien, mais c’est pour t’aimer mieux.

Mais il n’est pas sûr qu’il écrivît ainsi en 1722. Pourtant il pensait déjà ainsi :

Nos prêtres ne sont pas ce qu’un vain peuple pense :
Notre crédulité fait toute leur science[1].

Allez, s’il est un Dieu, sa tranquille puissance
Ne s’abaissera point à troubler nos amours.
Vos baisers pourraient-ils déplaire à sa clémence ?
La loi de la nature est sa première loi[2].

En avril 1726 un ecclésiastique anonyme le dénonçait à la police, et disait s’en être plaint dix ou douze ans auparavant, comme « prêchant le déisme tout à découvert aux toilettes des jeunes seigneurs… L’Ancien Testament, selon lui, n’est qu’un tissu de contes et de fables ; les apôtres étaient de bonnes gens idiots, simples et crédules, et les Pères de l’Église, saint Bernard surtout auquel il en veut le

  1. Œdipe, a. IV, sc. i.
  2. T. X, p. 231.