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LA JEUNESSE DE VOLTAIRE.

marquis d’Argenson et le président de Montesquieu. Ces assemblées d’hommes épris du bien public seront suspectes au gouvernement, et le cardinal Fleury, en 1731, leur donnera l’avis d’être « circonspects »: ils comprendront et cesseront de se réunir.

L’esprit du début du xviiie siècle se définit tout entier par ce petit livre léger et hardi des Lettres persanes, livre charmant, voluptueux et persifleur, grave et badin, où prennent leur vol toutes les libertés qu’on désirait alors en littérature, en morale, en religion, en politique.

Le public applaudissait, sans approfondir, à toutes les révoltes contre l’autorité du roi et de l’Église. Peu lui importait que le jansénisme fût intolérant, que le Parlement eût le plus égoïste esprit de corps : ils étaient la résistance au despotisme spirituel et temporel. Cette attitude leur valait une immense popularité.

Voilà l’air que Voltaire huma avec délices dès sa sortie du collège. Son attachement classique aux maîtres du xviie siècle ne l’enchaîna pas à leur timide pensée. S’il ne parvint point encore à goûter Rabelais, trop copieux et trop effréné pour son goût, il s’enchanta de Montaigne, ce livre de chevet des libertins. Mais il dépassa le point de vue de la libre pensée du xvie siècle, à la suite de Bayle, de Fontenelle, de Fénelon, de La Motte, de tous les honnêtes gens qui pensaient. Il se fit de bonne heure une philosophie, qu’on trouve éparse en ses écrits de la vingtième à la trentième année.