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VOLTAIRE.

pecte à ses contemporains que trois ou quatre idées généreuses qui ne font pas encore partie de la morale commune des honnêtes gens. Courtisan, et comme tel flagorneur et plat, à genoux devant le roi et les ministres, devant les maîtresses des ministres, et plus tard, du roi, il ne fait que ce que tout le monde fait. On l’en méprise, d’abord parce qu’il usurpe la bassesse des gens de qualité, ensuite parce qu’il ne se sert pas de ce manège pour pousser seulement sa fortune. Il veut pousser avec lui la philosophie[1], ce qu’on trouve déplacé. Il ne sait se défaire ni de son âme de courtisan ni de son âme de philosophe, et tandis qu’il prend des postures indécentes pour un homme qui pense, les vérités qu’il lâche, sont, chez un homme de cour, des maladresses ou des impertinences.

Mais cette philosophie, quelle était-elle en 1726 ? Représentons-nous bien à quelles réflexions le temps et le milieu pouvaient porter ce gamin spirituel et irrespectueux.

M. Brunetière a très bien défini l’état de la pensée française bridée au xviie siècle par la police du roi et de l’Église : « Pour vingt manières qu’il y avait de démontrer l’immortalité de l’âme ou le droit divin des rois, on n’en souffrait pas une de les nier[2] ». Mais à force d’avoir raisonné sur les matières permises, le xviie siècle léguait à son successeur le goût de la raison, une liberté générale de l’esprit, curieux de tout examiner, et peu disposé à se contenter des solutions traditionnelles et autori-

  1. Projet de dédicace de la Henriade à Louis XV (t. VIII, p. 2, 3).
  2. Études critiques, IV, 134.