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VOLTAIRE.

la cour le couvrirent. Pour le mettre en sûreté, on logea sa victime à la Bastille, avec beaucoup d’égards (17 avril 1726).

Il n’en sortit, au bout d’un mois, que sur la promesse de passer en Angleterre (mai 1726).

Cette fois, il avait fait vraiment l’épreuve de l’ordre social, de l’inégalité et du despotisme. Et bien avisé était le ministère de M. le Duc qui, de crainte qu’il ne fît pas assez de réflexions à Paris, l’envoyait dans le pays de la liberté politique et de la liberté individuelle.

Cette date de 1726 est décisive dans la vie de Voltaire : aussi faut-il nous demander ce qu’il était alors, quelle forme de conscience, quelle philosophie déjà formée il emportait à Londres.

Voltaire est un caractère composite, par la variété naturelle de ses inclinations, mais aussi par l’influence du temps confus où il vit et des milieux divers qu’il a traversés. Il n’est pas méchant, plutôt bon et humain, capable d’élans généreux, haïssant l’injustice, mais enfiévré d’amour-propre, avide de toutes les jouissances, de la jouissance surtout de se sentir être et agir, fastueux, tapageur, impressionnable, irascible, rancunier, enthousiaste, mobile, curieux, insolent, malin, gamin, enfant gâté. Sur ce fond naturel, la vie a brodé. Vers trente ans, Voltaire a du bourgeois l’ambition de s’anoblir, l’amour et l’orgueil de l’argent, de la propriété, des belles relations. Il a une moralité de coulissier, les mépris du petit gain journalier qui s’achète durement, le respect du gros négoce et de la spéculation, une façon de faire des affaires partout, qui lui fait