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VOLTAIRE.

les blés de Barbarie. Il brocanta des tableaux, des estampes. Il commença à placer de l’argent chez les grands seigneurs embarrassés, à acheter des rentes viagères. Il avait en poche, pour retourner à Londres, en juillet 1726, une lettre de change de 8 à 9 000 livres sur le juif Médina[1]. Ce n’était pas une bourse de poète. La banqueroute de Médina ne le gêna que momentanément. Il avait déjà les reins solides. En 1735, la faillite de Dumoulin lui fera perdre 20 à 25 000 francs, celle de Michel, en 1740, 30 à 40 000 : il pourra porter ces grosses pertes. Jore lui attribue, en 1736, 28 000 livres de rente, et lui en fait saisir 18 500[2].

Toutes ces prospérités n’allaient pas sans amertumes : pertes d’amis, trahisons de maîtresses, sifflets du parterre, chamailleries de beaux esprits, procès, etc. Une des caractéristiques de la vie de Voltaire est sa sonorité : il est vantard et clabaudeur, et crie aux quatre vents le mal et le bien qui lui arrivent. Il est de ces agités bruyants à qui les indifférents sont toujours contents qu’il arrive quelque disgrâce. Il occupe les yeux et les langues. Rien de ce qui le touche ne va sans tapage, et ces résonances trop fréquentes lui ôtent de la considération mondaine en étendant sa renommée.

Mais, jusqu’en 1725, les dégoûts qu’il avait eus n’étaient pas de nature à lui faire prendre en aversion la société où il vivait. Des couplets le faisaient envoyer à Tulle en 1716 ; mais le bon Régent,

  1. Hettier, Une lettre de Voltaire, Mém. de l’acad. de Caen, 1905.
  2. Voltairiana, p. 89.