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VOLTAIRE.

une curiosité qui d’avance en garantissait le succès.

Il eût bien voulu dédier à Louis XV l’ouvrage qui honorait Henri IV. Mais sa dédicace philosophique parut impertinente. On lui refusa même un privilège pour l’impression. Il fit faire une édition clandestine à Rouen, et le poème de la Ligue (c’est le premier titre de la Henriade) pénétra dans Paris en fraude dans les fourgons de Mme de Dernières (1723). En dépit des critiques, la France salua son poète épique. Voltaire avait la gloire.

Mais le solide aussi, c’était l’argent. Il était trop bourgeois, il avait trop bien compris la leçon de la Régence et du Système pour l’ignorer. Maître Arouet mourut le 1re janvier 1722. Il ne put connaître combien son fils avait au fonds de ses idées : il se fût reconcilié peut-être avec lui en voyant comment il s’y prenait pour que sa vocation de poète ne fît pas de lui un meurt-de-faim. Voltaire avait jugé les relations des gens de lettres et de leurs éditeurs, et était bien décidé à ne pas être le pauvre diable aux gages des libraires, exploité par eux et méprisé des honnêtes gens. Il avait compris que, pour frayer avec les Sully et les Richelieu, il ne fallait pas être marchand de vers et de prose, vivant de ce commerce, et que, pour être dans le monde sur un bon pied, quand on n’était pas très noble, il fallait être très riche. C’est à quoi il s’appliqua.

Tout jeune, il avait fait des billets aux usuriers : à vingt ans il a de l’ordre, et déjà sans doute le goût d’être prêteur plutôt que débiteur. Il est coquet et soigné ; mais il sait compter. Il joue par air, mais s’il s’accuse de « perdre son bonnet au biribi », soyez