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LA JEUNESSE DE VOLTAIRE.

réflexions de Fénélon et de l’abbé Dubos, il eut l’idée de faire pour son coup d’essai une révolution : il écrivit un Œdipe sans galanterie et sans amour. Mais les comédiens ne se laissèrent pas faire la loi par un débutant, et, pour être joué, Voltaire se résigna à faire soupirer le grave Philoctète pour la vieille Jocaste. Son adroite et brillante tragédie fut représentée le 18 novembre 1718, et fit reconnaître le jeune auteur pour l’égal de Campistron et de Crébillon, pour un digne héritier de Corneille et de Racine.

Si la France ne manquait pas de tragédies, elle n’avait pas une bonne épopée. Ronsard et Chapelain avaient accrédité l’opinion que les Français n’ont point la tête épique. Quelle position unique il y avait à prendre en faisant mentir le pronostic ! Voltaire, malgré Boileau, s’arrêta à un sujet moderne et national. Guidé par l’abbé Dubos ou séduit par M. de Caumartin, il choisit Henri IV, le seul roi français qui fût réellement populaire, et dont la désastreuse oppression du dernier règne avait commencé à exciter la légende. Le sujet, c’était la crise dont la France actuelle était sortie, dynastie, ordre politique, vie sociale et civilisation : grand et pathétique sujet, patriotique et philosophique ; des révolutions, des batailles, des exploits, de l’amour, et, pour tenter un libre esprit, de riches occasions de dire leur fait aux rois, à l’Église et aux moines. Les loisirs forcés de la Bastille appliquèrent Voltaire au travail. Il promena son esquisse de salon en salon, de château en château, recueillant les compliments et les corrections, excitant autour de son entreprise