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VOLTAIRE.

Il y avait de quoi être grisé. Il le fut. Il crut au privilège social de l’esprit. « Sommes-nous ici tous princes ou tous poètes ? » demandait-il au prince de Conti. Ce mot traduit sans doute l’aplomb de l’aventurier qui sait qu’on est classé sur ses prétentions dans le monde veule des gens qui s’amusent ; mais on y sent aussi une naïveté épanouie qui prend au sérieux sa seigneurie dans l’empire du bel esprit.

Pourtant, dans l’étourdissement de ses succès, la tête ne lui tournait pas tout à fait. Les femmes, entre Pimpette et la belle Émilie, ne le troublaient pas profondément. Plus sensible que passionné, son cœur avait besoin d’amitié plus que d’amour. Il eut des attachements profonds et vifs, pour le jeune Maisons, pour La Faluère de Genonville ; il en eut de solides et de constants, comme pour d’Argental ; il eut d’inlassables fidélités, et de méritoires, comme avec Thieriot.

Surtout son très bourgeois bon sens, parmi tous les triomphes de vanité et de volupté, ne perdait pas de vue le solide, quoi que son père en pût penser. Il s’assura d’abord la réputation littéraire. Voltaire voulut être autre chose qu’un amuseur de soupers et de nuits blanches. Il avait l’ambition d’être immortel, et en vivant comme Chaulieu ou La Fare, il songeait à marquer sa place à côté de Racine et de Boileau qu’il savait par cœur.

Dès 1715 il travaillait à un Œdipe, se flattant d’améliorer l’« ébauche » de Sophocle, et, — ce qui était plus téméraire alors, — de faire oublier la pièce de Corneille. Préparé peut-être par un de ses maîtres jésuites, averti en tout cas par quelques