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VOLTAIRE.

société française du xviiie siècle se ramasse le plus complètement et se porte à sa plus délicate perfection. Il en rassemble le bien et le mal, les grâces et les tares, la largeur et les limites, les élans et les reculs.

Les mémoires de Bachaumont nous montrent fort bien jusqu’où va cet accord de Voltaire et de la société, qui donne à celui-là tant de prise sur celle-ci. Les gens du monde ne suivent pas Voltaire dans ses violences antichrétiennes : ils sont trop indifférents au vrai, trop détachés de la foi, pour s’échauffer contre les dogmes. En bons Français, il ne leur coûte rien d’aller à la messe, de se marier devant le prêtre, et de faire baptiser leurs enfants : toutes cérémonies sans importance, qui sont des convenances respectables.

Voltaire a déchristianisé beaucoup d’esprits sans leur inoculer la virulence de sa haine. Il y eut, au xviiie siècle et au début du xixe, même des femmes voltairiennes, tranquillement, sereinement incroyantes, et qui se passaient fort bien d’émotion religieuse et de foi : la duchesse de Choiseul, la vicomtesse d’Houdetot, Mme Quinet, Mme Dumesnil (l’amie de Michelet), etc. Je ne sais si l’espèce en fut jamais nombreuse : Rousseau sans doute fit plus de prosélytes parmi les femmes.

Mais où toute la France, ou à peu près, applaudit et suit Voltaire, c’est quand il établit le déisme et rejette l’athéisme ; quand il combat les abus de l’Église, les privilèges financiers et la tyrannie de Rome, quand il veut soumettre le clergé à l’impôt, diminuer ou abolir les moines, quand il s’indigne contre le fanatisme et la persécution : là même