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VOLTAIRE.

accentué la physionomie voltairienne de son œuvre dans ces dialogues exquis de l’Orme du Mail et de l’Anneau d’améthyste où la critique des idées rejette à l’arrière-plan l’action dramatique.

Polémique à part, on peut dire qu’au xixe siècle Voltaire a été le principal maître de style des Français lettrés que leur tempérament ne portait pas à s’assimiler les procédés romantiques ou parnassiens, et qui ne cherchaient ni l’effervescence sentimentale, ni l’intensité pittoresque ou le relief plastique. Partout où le style est surtout intellectuel, sans devenir oratoire et dialectique (je fais cette réserve pour M. Brunetière, qui n’a certes rien pris à Voltaire), on y aperçoit aisément des éléments voltairiens : Cherbuliez, M. Boissier, M. Lemaître et M. Faguet, beaucoup d’universitaires en fourniraient la preuve. Voltaire, sans le créer, a confirmé le besoin français d’aisance, de légèreté, de netteté, de finesse, de « gaieté » claire dans l’expression : sa prose est devenue le symbole des qualités que nous appelons françaises, et dont elle a consacré l’obligation pour les écrivains : on peut leur ajouter tout ce qu’on veut, mais il faut les avoir d’abord. Flaubert ne reniait pas Voltaire en admirant Chateaubriand et Hugo, et tandis qu’il réalisait dans son style une beauté si peu voltairienne, il prenait garde d’éviter les défauts que Voltaire ne pardonnait pas. Un peu de Voltaire, — c’est-à-dire du goût qui se résume en lui, — se mêle encore dans Renan, et fait apparaître dans sa prose frémissante et colorée, parmi les jeux aventureux de la métaphysique subtile et de l’imagination mystique, le sourire lumineux du bon sens