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VOLTAIRE.

Essayons d’entrevoir quelques-unes des applications de cette force incontestable.

Voltaire agit comme artiste et comme philosophe : l’un portant l’autre le plus souvent, mais cependant l’un sans l’autre quelquefois. Les deux actions doivent s’étudier séparément.

Sur la littérature, il agit en général par son goût et sa langue : comme excitateur d’abord et initiateur, mais bien vite, et dès avant sa mort, comme gardien et conservateur des principes classiques. Les esprits qu’il forme ont le goût étroit et fin, la phrase claire et sèche ; ils sont méticuleux sur la correction et la pureté du langage, s’alarment des nouveautés ou des hardiesses d’images. Ils sont prompts à jeter du ridicule sur le détail de l’expression des ouvrages dont la pensée les étonne ou les choque. Les voltairiens s’effareront de Chateaubriand et détesteront le romantisme. Il y aura de ces voltairiens de goût pendant tout le xixe siècle, en particulier dans l’Université et la magistrature. Thiers représenterait assez bien cet esprit.

Pour la tragédie, Voltaire sera mis par ses contemporains à côté de Racine et de Corneille. Toute une génération de tragiques, hélas ! médiocres, sortira de lui : Marmontel, La Harpe, Lemierre, etc. Ses meilleurs disciples seront à l’étranger, et l’on a le droit d’y compter le misogallo Alfieri, qui s’est approprié le cadre de la tragédie voltairienne. Mais son influence sera mise en échec, d’une part par les partisans du théâtre anglais et du drame bourgeois, qui dépasseront ses audaces, puis par les classiques purs de l’époque révolutionnaire et impériale, qui,