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LA JEUNESSE DE VOLTAIRE.

Il a la jolie Suzanne de Livry que lui souffle son cher Génonville, à qui il n’en voudra pas. Il est tout à fait bien avec la Lecouvreur.

De la Bastille où le Régent l’a fait mettre, il ne sort que pour prendre pied au Palais Royal, chez le Régent : il se fait accueillir de Dubois, et il est l’ami du roué Canillac. Il se lie avec Mme du Deffand, avec le chevalier des Alleurs. Il soupe avec le prince de Conti.

De petite santé, souvent malade, et se croyant toujours plus malade qu’il n’est, il prend du lait d’ânesse, il « chipe » les pilules de Mme de Rupelmonde ; il va prendre les eaux de Forges : il y trouve Mme de Prie, la maîtresse de M. le duc (de Bourbon), prince du sang et premier ministre après la mort du duc d’Orléans. Elle l’invite chez elle à Bélébat, à Fontainebleau chez le roi. Il pénètre à la cour ; la jeune reine Marie Leczinska prend du goût pour ce poète amusant et cajoleur : elle lui dit : « Mon pauvre Voltaire », en toute familiarité. Depuis 1718, il a laissé tomber le nom roturier d’Arouet, il est M. de Voltaire.

Ainsi à vingt ans le fils du payeur d’épices, le clerc de maître Alain a pris pied dans le monde le plus brillant ; à trente ans, il a forcé la porte de la cour. Il payait de son esprit, en impromptus, contes, épigrammes, satires, épîtres, monnaie qui ne l’appauvrissait pas. Sans craindre l’indécence, il ne la recherchait pas. Les productions de Grécourt et de Caylus, les parades où s’égayaient La Vallière et Maurepas, font apprécier la délicatesse de Voltaire, la mousse de sa gaieté et l’impertinence de sa fantaisie.