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VOLTAIRE.

couronné par Brizard en robe de moine, et baisé par les comédiennes. Il sortait à pied. Il visitait les princes d’Orléans, Sophie Arnould, et la marquise de Gouvernet, cette jolie Suzanne de Livry qui lui avait été infidèle cinquante ans auparavant.

Au milieu de toute cette agitation, il travaillait. Il avait fait adopter à l’Académie un nouveau plan du dictionnaire, et s’était mis aussitôt à l’exécution. Il absorbait 25 tasses de café en un jour, perdait le sommeil, se bourrait d’opium, délirait. Le 25 mai il était perdu. Il ressuscita un instant pour féliciter Lally-Tollendal de l’arrêt du Conseil qui cassait la sentence portée contre son père.

Les médecins Lorry et Tronchin n’avaient plus d’espoir. Tronchin épiait malignement comment le philosophe passerait ce « fichu moment ». Le philosophe voulait vivre. Il enrageait de n’avoir pas suivi le conseil de retourner à Ferney, il suppliait Tronchin de le « tirer de là ». Il souffrait d’horribles douleurs. Il avait peur de ce qu’on ferait de lui après sa mort. Il se souvenait de la Lecouvreur : il voulait éviter la voirie. Des prêtres s’agitaient : un abbé Gautier, le curé de la paroisse, qui était Saint-Sulpice. Il signa une confession de foi, et une rétractation qui fut ensuite jugée insuffisante : on lui apporta une autre déclaration. « Laissez-moi mourir en paix », dit-il.

Dès le 28 février à la première alerte, il avait mis sa vraie confession aux mains de Wagnière :

Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis, et en détestant la persécution.

Il semble qu’il se soit rasséréné, quand il comprit