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VOLTAIRE.

nation des contemporains, effaçaient l’impression des travers d’humeur, des querelles sans dignité, des singeries avilissantes. Malgré la haine irréconciliable de l’Église et des croyants, malgré l’antipathie mal déguisée des athées, la grande masse du public était bien conquise, et vénérait le vieillard de Ferney. Mme Necker, en 1770, prenait l’initiative d’une souscription pour lui élever une statue ; mais Pigalle, en modelant ce vivant squelette, fit un chef-d’œuvre de réalisme anatomique qui représentait mal l’idéal de la dévotion voltairienne. En 1772, Mlle Clairon, chez elle, devant des amis, couronnait le buste du philosophe en récitant une ode de Marmontel.

À Genève même il triomphait. Il n’y pouvait plus venir sans qu’une foule immense l’entourât : en 1776, il pensa y être étouffé. La défense de Calas prévalait sur la Guerre de Genève.

Rien ne donne une plus vive idée de la transfiguration légendaire du patriarche de Ferney que les lettres de Mme Suard. Cette jeune femme de vingt-cinq ans éprouve devant le malin et pétillant vieillard « les transports de Sainte-Thérèse ». Elle ne ressent près de lui que de l’attendrissement et de l’enthousiasme. Elle lui demande sa bénédiction. Elle nous montre un Voltaire, bon, indulgent, attendri, adouci, le Voltaire des âmes sensibles.

Il mourait d’envie d’aller jouir de sa gloire. Le gouvernement n’était pas réconcilié : sur le bruit de sa maladie (en juillet 1774), l’intendant de Bourgogne recevait ordre de Versailles de saisir tous ses papiers, aussitôt qu’il serait mort. Mais on n’osait rien contre lui, tant qu’il vivait. La reine pleurait à Tan-