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FORMATION DE LA LÉGENDE VOLTAIRIENNE.

généraux un abonnement pour le sel et le tabac. Il travailla Trudaine et Turgot ; il fit agir l’abbé Morellet, Dupont de Nemours, cette Mme de Saint-Julien qu’il appelait Papillon-philosophe. Il excitait et calmait tour à tour les syndics et les États du pays de Gex. Il leur prêchait les concessions nécessaires. Enfin il aboutit. Il offrait 20 000 livres par an pour l’abonnement, les fermiers en voulaient 60 000 : on convint de 30 000.

Une scène extraordinaire eut lieu, lorsque les États de Gex se réunirent à l’hôtel de ville pour discuter la convention. Voltaire s’y rendit le 12 décembre 1775, « bien empaqueté ». On le fit asseoir ; il fit « un bon discours », lut des lettres de Turgot et de Trudaine : les trois ordres du pays de Gex approuvèrent le traité. « Alors il ouvrit la fenêtre et cria : Liberté ! » On lui répondit par des cris Vive le roi ! Vive Voltaire !

Il avait avec lui douze dragons de Ferney qui se tinrent sur la place devant la maison où était l’assemblée… Les douze dragons mirent l’épée à la main pour célébrer notre ami, qui partit tout de suite et fut de retour pour dîner. En passant dans quatre ou cinq villages, on jetait des lauriers dans son carrosse. Il en était couvert. Tous ses sujets se mirent en haie pour le recevoir, et le saluèrent avec des boîtes, pots à feu, etc. Il était très content et ne s’apercevait pas qu’il avait quatre-vingt-deux ans[1].

Toutes ces interventions généreuses, la prospérité croissante de Ferney, tant d’écrits consacrés au bien public prenaient peu à peu le dessus dans l’imagi-

  1. Lettre de Mme de Gallatin (Zeitschrift f. fr. Sp. u. L., VII, 207). Cf. la lettre de M. Hennin (Desnoiresterres, VIII, 76).