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FORMATION DE LA LÉGENDE VOLTAIRIENNE.

ment de ne pas s’être découvert devant la procession du Saint-Sacrement, d’avoir chanté des chansons impies et obscènes, d’avoir récité la Pucelle, et possédé des livres tels que la Religieuse en chemise ou le Dictionnaire philosophique portatif. Pour cela, des haines privées s’en mêlant, la sénéchaussée d’Abbeville le condamna à avoir la langue coupée et à être décapité. La sentence fut confirmée par le Parlement de Paris. On lui épargna la mutilation de la langue ; le corps et la tête furent brûlés sur un bûcher où l’on jeta aussi le Dictionnaire philosophique. Voltaire fut atterré. Il appela au public. Il s’intéressa à d’Étallonde, le fit entrer au service de Prusse. Il essaya plus tard de faire casser l’arrêt qui le condamnait par défaut. Il ne réussit pas. Il ne put que maudire dans tous ses écrits, et il n’y manqua pas, les juges d’Abbeville.

Le 9 mai 1766 le comte de Lally, ancien commandant de Pondichéry, était décapité en place de Grève, bâillonné pour qu’il ne pût faire entendre sa protestation. Le vague des termes de l’arrêt inquiéta Voltaire : il s’enquit, se convainquit de l’innocence de Lally, et prêta sa plume et sa popularité au fils du condamné. Il vit, avant de mourir, la réhabilitation de Lally assurée.

Il s’occupait encore en 1769 de faire réhabiliter Martin, un cultivateur du Barrois roué pour un assassinat dont l’auteur avait ensuite avoué. En 1770, c’était la méprise d’Arras : une vieille ivrognesse qu’on accusait ses enfants d’avoir tuée. Montbailli fut roué ; sa femme se déclara enceinte. Voltaire la fit reconnaître innocente, et innocent aussi le roué.