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LA JEUNESSE DE VOLTAIRE.

Maubert ». Il y trouva un camarade, aussi dégoûté que lui de la procédure, aussi épris de plaisir et de poésie : ils devinrent amis pour la vie. Celait ce bon garçon de Thieriot, égoïste, paresseux, ami de ses aises et de son repos jusqu’à la trahison et l’improbité ; il vécut aux crochets de Voltaire qui ne se lassa jamais de le servir et de lui pardonner.

Autre disgrâce. L’Académie ne couronne pas l’ode sur le vœu de Louis XIII. Le crédit de La Motte fait attribuer le prix au vieil abbé du Jarry. Le sang d’Arouet bout à ce déni de justice : une satire contre l’illustre M. de La Motte part, fait scandale, réchauffe la colère du père contre ce gamin qui ne fait que des sottises. Heureusement M. de Caumartin l’emmène à Saint-Ange jusqu’à ce que le bruit soit assoupi. Dans cette jolie région du Loing, auprès d’un homme d’esprit qui avait dans la tête tout le xviie siècle, les grandes affaires et les anecdotes, Arouet, pour la première fois, prend des idées sérieuses ; il reçoit les germes tout à la fois de la Henriade et du Siècle de Louis XIV.

Le grand roi meurt, et dans la joie de la délivrance, dans celle de la paix assurée, éclate la fête de la Régence. Révolte contre la tristesse bigote et le lourd despotisme du dernier règne ; étalage débraillé de cynisme, de scepticisme et de débauche ; fureur de jeu, d’amour, de luxe ; bouillonnement hardi d’esprit, de rire et de satire ; mais aussi avidité d’argent et fièvre de spéculation : il faut de l’argent pour le plaisir ; pas de grand nom qui ne trafique et n’agiote. Voilà le milieu où Voltaire s’agite au retour de Saint-Ange. Il fréquente les compagnies