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LA PHILOSOPHIE DE FERNEY.

Les dogmes des religions diffèrent parce qu’ils ont été inventés par les hommes, mais la morale est universelle, parce qu’elle vient de Dieu. Ce n’est pas qu’on ne trouve toute sorte de contradictions et de différences dans les préjugés et les lois des divers peuples : mais partout, de Socrate à Jésus et de Confucius à Shaftesbury, lorsque l’homme a appliqué sa raison à la conduite de la vie, il a trouvé la même morale, la morale de la bienfaisance et de la justice, la vertu sociale, contrepoids de l’amour-propre naturel et indéracinable.

Cette morale ne promet pas un bonheur chimérique, elle permet le plaisir honnête et modéré, elle invite à accroître par l’action sociale, par l’accord des individus, le bien-être collectif, qui multiplie les plaisirs pour chacun. Elle n’étonne ni ne dépasse les honnêtes gens de 1760, et les invite, en acceptant l’homme, en s’acceptant eux-mêmes, à mettre un peu de bonté, de douceur, de ménagement pour autrui dans la quête du bonheur, à se soucier, en vivant bien pour eux, de rendre la vie un peu meilleure à tous. Elle n’effraie ni ne décourage, ni ne grise de chimères, et ne propose aux hommes que des actions si évidemment utiles, si visiblement à leur portée, qu’il y aurait encore plus de stupidité que de méchanceté à les refuser. C’est cette morale positive et indépendante, qui, avec l’affirmation de Dieu, est la religion naturelle, la seule vraie religion, le théisme, que toutes les Églises enveloppent des fantaisies ridicules ou inhumaines de leurs dogmes.