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LA PHILOSOPHIE DE FERNEY.

théories, il faut prendre pour critériums la vraisemblance et la possibilité : tout ce qui répugne à la physique, à la raison, à la trempe du cœur humain est à rejeter[1]. Règle vague et dangereuse, et dont le préjugé et la passion peuvent trop aisément abuser. Seule l’impossibilité physique est un critérium sûr ; encore faut-il se souvenir que le développement de la science déplace sans cesse les bornes de la possibilité physique. Quant à la raison, il ne faudrait entendre par là que le principe de contradiction. Voltaire n’a pas fait ces réserves, et sa règle plus d’une fois l’a trompé.

Cependant ces principes, en leur temps, furent un progrès. Ils étaient neufs, du moins pour le grand public : Voltaire faisait son éducation critique, l’habituait à demander aux historiens leurs preuves, à leur refuser sa créance, lorsqu’ils affirmaient traditionnellement des faits contraires aux lois de la nature, de la raison et de la conscience.

Mais, avec ces doutes et ces règles, il faisait œuvre positive. Il construisait un cadre de l’histoire destiné à remplacer les naïves représentations de Bossuet, de Rollin, et de don Calmet[2].

Rejetant hors de la science la doctrine de la création, il aperçoit dans le plus lointain passé des races d’hommes diverses, groupées en sociétés rudimentaires. Ces hommes stupides, brutaux, tout près de l’animalité, lentement, après des temps prodigieux, se sont fait un langage articulé, des vêtements, des

  1. XXIII, 439. Cf. XXVII, 269 ; XI, 153, etc.
  2. Hist. de l’anc. Test., I, 121.