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LA JEUNESSE DE VOLTAIRE.

ressé de ses protestations à certains jours, il gardait réellement un cher souvenir aux Pères Tournemine et Porée, une affectueuse estime pour la manière dont les jésuites instruisaient la jeunesse dans leurs collèges. Il savait bien qu’il leur devait son goût. Il leur en devait la sûreté, la finesse ; il leur en devait les préjugés et les limites. Si forte fut la prise qu’il ne put jamais se libérer.

Le parrain du petit Arouet, l’abbé de Châteauneuf, l’introduisit dans le monde. Il l’avait présenté à la vieille Ninon, qui, séduite par sa vivacité, lui légua, nous dit-il, deux mille écus pour acheter des livres. Il le mena dans la société du Temple, il lui fit connaître tous ces épicuriens, Chaulieu, Courtin, l’abbé Servien, M. de Sully : compagnie faite pour aiguiser chez ce petit bourgeois deux appétits qu’il avait naturellement, celui du plaisir et celui de l’esprit. De là, les premières difficultés avec le père Arouet, qui voulait bien du plaisir et de l’esprit, mais avec mesure, c’est-à-dire sans compromettre le solide. Le solide, pour lui, c’était une charge de robe. François-Marie n’en voulut pas : il manquait totalement de gravité et ne se plaisait qu’aux folies. Il rentrait tard, faisait danser les écus, quand il en avait, s’endettait pour en avoir. Il faisait des vers et ne voulait pas faire autre chose ; il avait une tragédie dans ses tiroirs, envoyait une ode au concours de l’Académie française. Le père admettait les vers, mais comme un agrément de la société, non pas comme une carrière.

Il décida de dépayser le garnement. Le marquis de Châteauneuf, qui s’en allait représenter le roi