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L’ART VOLTAIRE.

humanitaires de Voltaire. Il y vit devant nous, avec une ingénuité effrontée et charmante, étalant ses travers et ses prétentions, mais aussi son intelligence et sa générosité : il n’y a pas de visiteur de Girey ou de Ferney qui nous le rende aussi « parlant » qu’il s’est peint dans ses lettres. Et leur valeur d’art est incomparable ; on y trouve tout le goût et tout l’esprit de Voltaire en leur forme la plus exquise. Le classicisme s’y dépouille, s’y atténue, s’y allège ; plus de pompe ni de solennité froide ; la noblesse à laquelle ne renonce jamais l’écrivain classique, n’est plus qu’une noblesse aisée de manières, une tenue élégante de l’expression. Les artifices et les conventions littéraires ont disparu : il n’est resté de toutes les règles et bienséances du temps, que ce qui a passé dans la nature de l’homme et en est devenu inséparable ; la correspondance de Voltaire atteint à cette perfection du naturel que Condillac définissait l’art tourné en habitude. Toutes les humeurs, passions, haines, rancunes, enthousiasmes, affections de l’homme éclatent et bouillonnent dans ces lettres, mais coulent dans les formes que leur ont préparées la culture et le goût de l’écrivain : on retrouve partout le fin et délicat lettré qu’est Voltaire. Mais tout est vif, rapide, léger, mesuré ; jamais de lourdeurs et jamais d’apprêt ; tout coule de source, limpidement, délicieusement. La nature et la culture se sont fondues dans le mélange le plus harmonieux qui puisse se concevoir. Et voilà pourquoi, aujourd’hui, le chef-d’œuvre de Voltaire le moins contesté, le plus lu, est cette correspondance dont les contemporains n’ont eu que par accident la jouissance.