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VOLTAIRE.

fléchissements de Voltaire ont peut-être leur origine dans l’incapacité de ses éducateurs à séparer la morale du catéchisme.

Il faut d’ailleurs ajouter que, dans ce début du xviiie siècle, les Pères, fins rhéteurs, humanistes excellents, s’appliquaient mieux, quoique très pieux eux-mêmes, à former le bon goût que la piété. Ils semblaient se contenter de fabriquer des lettrés qui n’auraient pas un grain de jansénisme, et garderaient une soumission extérieure à l’Église.

De là l’indulgence souriante avec laquelle ils virent éclore chez eux Voltaire : puer ingeniosus, sed insignis nebulo, dit l’une de leurs notes. Les marques précoces de son talent les enchantaient, une épigramme, un impromptu, une traduction en vers français d’une ode latine d’un de leurs Pères. À leur distribution des prix, en 1710, l’un d’eux signalait à J.-B. Rousseau « un petit garçon qui avait des dispositions étonnantes pour la poésie », et le poète regardait curieusement ce « jeune écolier,… d’assez mauvaise physionomie, mais d’un regard vif et éveillé ».

Pendant plus de trente ans, jusqu’aux heures chaudes de la bataille encyclopédique, les relations ne se rompront pas entre Voltaire et les jésuites. Ceux-ci furent lents à désespérer de mettre de leur côté un bel esprit de cet éclat ; ils lui savaient quelque gré d’être si mal avec les jansénistes. Et lui, de son côté, se sentait profondément redevable à de tels maîtres : malgré tout ce qui le séparait d’eux, malgré son antipathie pour la politique et la doctrine de leur Compagnie, malgré même le manège inté-