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VOLTAIRE.

des ananas, des dattes, des pistaches, et du café de Moka : sans parler des perroquets et des singes rôtis qu’on déguste en Eldorado.

Les bonshommes de Voltaire payent, selon les lieux, en écus, en louis, en sequins, en piastres, en maravedis, en pistoles, en moyadors, en livres sterling. Leur voiture est tirée en Espagne par des mules attelées de cordes ; en Angleterre, ils courent en chaise de poste ; ils vont de Paris à Versailles en pot de chambre. Les caractéristiques des pays sont rapidement indiquées, le morcellement féodal de l’Allemagne, la désolation fiévreuse de la campagne romaine.

Mais le réalisme pittoresque de Voltaire n’est que la transposition du sensualisme dans l’art : sa fin est de procurer des idées justes. Il est soumis à la pensée philosophique qui crée l’œuvre, et demeure ainsi profondément symbolique. Tous ces petits traits, ces circonstances dessinent la chose et, avec la chose, le jugement de la « raison » sur la chose. Ils la déforment pour mettre dans son image la réaction de l’esprit de l’auteur ou le rapport à la thèse. Ces légers croquis sont des charges. La pitié même et l’indignation se traduisent en sarcasmes, en bouffonneries. L’art mondain de donner des ridicules est mis au service de la philosophie. Toutes les misères de l’homme et du monde sont traduites devant l’intelligence et apparaissent en sottises : sûre tactique pour révolter des esprits clairs contre les causes de la souffrance sociale. Les romans de Voltaire sont des démonstrations du progrès par l’absurde.