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L’ART VOLTAIRE.

Poème, Jean-Jacques Rousseau a encore osé prendre la défense dans la lettre qu’il lui a adressée. Candide sera, mieux que le livre de l’abbé Bazin, la philosophie de l’histoire universelle.

Le but est de démolir l’optimisme. Il se présentera donc dans sa forme la plus ridicule, dans l’outrance et le jargon de la métaphysique allemande : on le prendra dans Leibniz, et non dans Pope, auquel la pensée de Voltaire allait naturellement[1] : la raison d’art écarta l’Anglais, trop clair et sensé.

Il n’y a que les faits qui prouvent ; le héros sera donc la victime ou le témoin de tous les maux qui touchent l’homme, maux de l’institution sociale, maux des passions humaines, maux de la nature : guerres et autodafés, viols et vols, maladies et tremblements de terre. Candide ira d’Europe en Amérique, connaîtra la richesse et la pauvreté, entendra le cri des rois, des moines et des filles. Tout le monde est malheureux, tout le monde se plaint. Un seul pays heureux, et il n’existe pas ; c’est l’Eldorado.

Tout le monde se plaint, mais personne ne se tue. La vie est mauvaise ? non pas, puisqu’on la supporte. Elle est médiocre et tolérable. Il y aura donc de bonnes gens, du bien, de l’humanité, de l’honnêteté, même un peu de bonheur, ou du moins de douceur et de repos, épars à travers le défilé des misères et des vices, assez pour barrer la route au pessimisme sans relever l’optimisme. Tout système est faux. Ni bénédiction, ni désespoir. La vie n’est pas bonne,

  1. XXXVIII, 512, 513.