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VOLTAIRE.

La forme favorite de Voltaire est celle du voyage combinée avec la biographie : il conte une vie, qu’il promène à travers le monde. Enlèvements, poursuites, reconnaissances, enchantements, géographie fabuleuse, nations de l’Asie, de l’Amérique et de l’Europe, fées, génies, animaux fantastiques, talismans, antiquité et temps modernes, revues de toutes les civilisations et de toutes les conditions, actualités et fantaisies, ton impertinent, persifleur, épigrammatique, égayé de bouffonneries et de gravelures, courts chapitres, titres piquants et qui réveillent : c’est un mélange unique et savoureux. Tantôt la satire s’éparpille, et le conteur fait feu sur tous les ennemis, croyances et personnes, que le souple tracé de sa fiction met sur son chemin : ainsi dans Zadig, Scarmentado, l’Ingénu, la Princesse de Babylone. Tantôt il suit un dessein ferme, et se propose la démonstration ou la réfutation d’une idée : tels sont Micromégas, Candide, l’Histoire de Jenny. Alors tout le roman fait balle contre l’idée que l’auteur a prise pour cible : l’invention, rigoureuse et disciplinée, ne met en ligne que des figures, des actions, des péripéties, qui servent à la thèse.

Candide est le modèle de cet art. Élargissant le cadre de Scarmentado, y versant toute sa connaissance de la vie et de l’histoire, depuis ses impressions de voyage en Westphalie jusqu’à ses travaux de jardinier aux Délices, depuis ses démêlés métaphysiques avec le Wolfien Martin Kahle jusqu’aux recherches de son Essai sur les mœurs, il applique le conte au débat que le désastre de Lisbonne a renouvelé, à la ruine de la Providence dont, après son