Page:Lanson - Voltaire, éd5.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
149
L’ART VOLTAIRE.

bouffonneries, des ordures, ce sont elles qui impressionnent la raison du lecteur. Elles s’y fixent. Elles donnent un critérium pour le jugement, un principe pour l’action. Elles font voir la vie sociale dans un certain jour. Elles entrent l’une après l’autre, aisément, sans qu’on y fasse effort : ce n’est pas un système qu’on s’assimile laborieusement, c’est un esprit dont on est peu à peu imprégné.

Dans une autre partie des petits livres de la fabrique voltairienne, l’idée se revêt de fiction artistique, ce sont les contes, dialogues et facéties. Dans ces genres légers, libres et sans règles de la prose, Voltaire, plus que dans aucun genre poétique, se révèle, entre soixante et quatre-vingts ans, un grand, puissant, et original artiste.

Il recueille et filtre toutes les traditions et les formules du conte philosophique, social, satirique, allégorique, oriental et féerique, français ou anglais. Télémaque et Gil Blas, Angola et le Sopha, les Mille et une nuits et leurs analogues, Hamilton et Duclos, les Lettres persanes et les apologues du Spectateur, le Conte du Tonneau et les Voyages de Gulliver : toutes sortes de formes et d’éléments d’art s’amalgament et se concentrent dans les contes de Voltaire, qui sont d’un tour si personnel. Zadig est fait de matériaux de folklore qui lui sont parvenus par les voies les plus diverses, l’Arioste et Boccace, Thomas Parnell, récits arabes, persans, chinois. Dans Micromégas s’exercent les suggestions de Cyrano de Bergerac, de Swift, et surtout de Fontenelle.