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VOLTAIRE AUX DÉLICES ET À FERNEY.

l’Encyclopédie, vingt volumes in-folio ne feront de révolution : ce sont les petits livres portatifs à trente sous qui sont à craindre. Si l’Évangile avait coûté 1 200 sesterces, jamais la religion chrétienne ne se serait établie[1]. » Ces petits pâtés, ces rogatons portatifs, insaisissables, digestifs, excitants, sortent de la fabrique de Ferney pendant vingt-trois ans : il en vient de toutes formes, sur tous sujets, en vers, en prose, dictionnaires, contes, tragédies, diatribes, extraits sur l’histoire, sur la littérature, sur la métaphysique, sur la religion, sur les sciences, sur la politique, sur la législation, sur Moïse et sur des colimaçons, sur Shakespeare et sur des billets souscrits par un gentilhomme. En réalité, si chères que lui soient les belles-lettres et la poésie, elles ne sont plus qu’un moyen pour lui. Les tragédies, les vers servent à la propagande des idées.

Il répète, il rabâche. Il le sait, et il recommence. Une idée n’entre un peu dans le public qu’à force d’être redite. Mais il faut varier la sauce pour prévenir le dégoût. Il y excelle.

Il a toutes les qualités, avec beaucoup des défauts, du journaliste : par-dessus tout, le flair de l’actualité, la voix qui porte, qui fixe l’attention au travers de la clameur confuse de la vie. Ce n’est pas assez de dire que Voltaire est un journaliste, il est, à lui seul, un journal, un grand journal. Il fait tout, articles sérieux, reportage, échos, variétés, calembours : il brasse et mêle tout cela dans ses petits écrits. C’est un journal, mais aussi un encyclopédie, toutes

  1. 5 avril 1765.