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VOLTAIRE.

assurer une circulation un peu plus libre à ses brochures, il cultiva ses amitiés de cour, Bernis et Choiseul, Richelieu, Villars et La Vallière ; il s’en para pour intimider le zèle des subalternes. Il n’avait guère besoin de Malesherbes, directeur de la librairie, et des censeurs ; mais il tâchait d’être bien avec les lieutenants de police, les intendants, les directeurs des postes, les commis. Le contreseing officiel de Damilaville, premier commis au vingtième, préserva pendant des années la correspondance de Ferney des curiosités de la poste. Il eut enfin pour complices tout le public, tous les voyageurs retournant de l’étranger, les ambassadeurs et leurs gens, les officiers, qui arrivaient à Paris leurs valises pleines de rogatons voltairiens[1], avant que le nommé Huguet et la femme Léger en fussent fournis pour la distribution clandestine.

Tant qu’il avait le public pour lui, il était sûr de venir à bout de tous les pouvoirs spirituels et temporels. Et ce public, il savait par où le prendre : public intelligent et léger, curieux et blasé, qu’un rien rebutait, un rien amusait, de goût étroit et délicat, d’attention faible, qu’il fallait sans cesse retenir et piquer. Il lui servit tous les jours pendant vingt-trois ans le ragoût d’esprit, de satire, de badinage, de polissonnerie dont il était nécessaire de lui assaisonner les idées.

Surtout, il fit clair, court et vif. Plus de grands ouvrages. De petits in-douze, des brochures de quelques feuilles. « Jamais, disait-il en pensant à

  1. Ann. J.-J. Rousseau, t. I, p. 129.