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VOLTAIRE AUX DÉLICES ET À FERNEY.

Voltaire se jette fougueusement dans la mêlée. Il est « celui qui rit de toutes les sottises qui sont frivoles, et qui tâche de réparer celles qui sont cruelles[1] ». Détrompé, il voulait détromper les autres, et il bouillait d’impatience à l’idée que le progrès pouvait bien mettre deux ou trois cents ans à se faire[2]. Il se battit, non point héroïquement, mais obstinément, cherchant à obtenir le plus d’effet possible avec le moins de risque. Il connaissait le terrain et l’ennemi, et se montra un merveilleux tacticien.

Il savait qu’il n’y avait ni privilège ni permission tacite à espérer. L’impression clandestine, en France ou à l’étranger, et surtout à Genève, lui ôtait le tracas de la censure ; mais c’étaient tous les hasards de la contrebande et du colportage en fraude : des peines sévères menaçaient les auteurs, libraires et colporteurs. On ne prenait presque jamais que ceux-ci : et c’était pour ces pauvres diables le carcan, les galères et la marque. L’écrivain qui se laissait prendre pouvait s’en tirer par une rétractation humiliante : il eût été imprudent de toujours compter sur cette ressource.

Voltaire se déroba. Sa position sur la frontière, l’anonymat, les pseudonymes, les désaveux couvrirent sa personne. La forme de la justice s’arrêtait devant des dénégations qui ne trompaient pas le public et l’amusaient.

Pour paralyser les mauvaises volontés, pour prévenir les lettres de cachet toujours possibles, pour

  1. XLIII, 104.
  2. XXV, 344, 318 ; XXVI, 95.