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VOLTAIRE AUX DÉLICES ET À FERNEY.

son cœur, le seul dont il ne dise aucun bien qu’il ne pense. À tous, il ne demande pas seulement une protection, des faveurs pour lui, pour Ferney et pour les philosophes : il veut des réformes, il les excite et les soutient dans toutes celles qu’ils tentent.

Voilà le spectacle que, des Délices et de Ferney, pendant vingt-trois ans. Voltaire offrit à l’Europe tour à tour enthousiaste ou scandalisée, et toujours amusée. Pendant vingt-trois ans il réussit ce miracle d’être la nouvelle du jour, de fournir l’actualité, bouffonne ou sérieuse et surtout imprévue, qui occupe le public : ses Pâques ou ses coliques, Tancrède ou la Pucelle, l’adoption de Marie Corneille, ou une lettre au roi de Prusse, le renvoi ou le rappel de Mme Denis, un généreux effort pour Calas ou La Barre, un débordement de facéties injurieuses sur La Beaumelle ou Jean-Jacques, tout l’exquis du bon sens et de l’humanité, ou toute l’énormité de l’ordure et de l’impiété, de tout cela chaque jour quelque chose, et jamais deux jours de suite la même chose. Pendant vingt-trois ans Voltaire fut le grelot le plus sonore de l’Europe.

À coup sûr, le bruit lui était doux, la popularité nécessaire. Il ne s’inquiétait pas qu’il y eût un peu de mépris dans le rire de la galerie : il n’avait pas l’armature de moralisme, la carapace de dignité qui font garder aux plus ambitieux, aux plus vains des postures décentes. Ayant la gloire de l’esprit et de la bienfaisance, il ne dédaignait pas celle des contorsions et des grimaces. Mais dans toutes ses arlequinades, il avait son idée qui ne le quittait pas plus que