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VOLTAIRE AUX DÉLICES ET À FERNEY.

et honneurs, propriétaire jusqu’au fond de l’âme, fier de ses bâtiments, de ses plantations, de son troupeau, de son église, passionné pour le placement des montres ou des bas de soie de ses manufactures : majestueusement gracieux aux amis et aux vassaux qui célèbrent ses anniversaires avec des arcs de triomphe, des feux d’artifice, et des vers encenseurs ; toujours fou de théâtre, de vers, et d’esprit, causeur délicieux, d’une gaieté charmante ; mais capricieux, fantasque, irritable, despote ; large à qui le cajole, lésineur ou chicaneur avec qui le prend de travers, marchandant opiniâtrement un couteau de chasse, ou plaidant contre le président de Brosses pour quelques moules de bois qu’il enrage d’avoir enfin à payer, tracassier, taquin, intrigant dans les affaires genevoises, et ravi de se moquer de tout le monde ; toujours mordu et mordant, traînant après lui une meute d’ennemis qu’il grossit à plaisir, Fréron. La Beaumelle, Chaumeix, les Pompignan, Nonnotte, Patouillet, Larcher, Cogé, n’étant jamais en reste et voulant toujours avoir le dernier, pour les coups de gueule et pour les coups de dents, tourmenteur diabolique du malheureux Jean-Jacques qu’il serait prêt à recueillir chez lui, égratignant à tout propos le grand Montesquieu qu’il a défendu de son vivant, inlassablement attaché aux mollets des gens qu’il déteste, et parfois de ceux qu’il ne déteste pas, n’en voulant pas toujours à ceux qu’il crible de ses mortels sarcasmes, ramené souvent par une avance, un bon procédé, et se réconciliant avec Trublet, avec Buffon : sans rancune même contre les amis ou les protégés qui le trahissent, qui le volent,