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VOLTAIRE.

duc de Villars, grand tragédien. Une foule de Genevois sont habitués chez Voltaire, vont et viennent sans cesse de la ville à Ferney : plus familiers souvent qu’amis : tous les Tronchin, le ménage Rilliet, les deux Cramer, Mme Gallatin, Huber, le spirituel découpeur de silhouettes qui souvent faisaient enrager le patriarche ; et n’oublions pas « M. le fornicateur Covelle ».

Et que de visiteurs de tout état, de toute nation ! Voltaire est une curiosité européenne qu’il faut avoir vue. Ferney est le pèlerinage des esprits libres et des âmes sensibles. On y voit défiler Dalembert, Turgot, l’abbé Morellet, le musicien et valet de chambre du roi Laborde, le chevalier de Boufflers, Chabanon, Grétry, les Anglais Sherlock et Moore, le prince de Brunswick, le landgrave de Hesse, Mme Suard, le marquis de Villette : que d’autres, qu’on ne finirait pas d’énumérer. C’est une déclaration de principes, et un affront personnel, quand le comte de Falkenstein, le futur Joseph II, ne daigne pas se détourner de sa route vers Ferney.

Quelques visiteurs nous ont laissé leurs impressions. Ils nous font voir ce long vieillard décharné, aux yeux étincelants, enveloppé de sa robe de chambre de perse, ou bien, les grands jours, en noble habit mordoré avec une grande perruque et des manchettes à dentelles qui lui descendent jusqu’au bout des doigts : propre, droit, sec, vif, sobre, ne prenant que quelques tasses de café à la crème, toujours mourant et toujours se droguant, travaillant au lit une partie de la journée et y recevant des visites ; très seigneur de village, entêté de ses droits