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VOLTAIRE.

dans son entresol, narguant le Magnifique Conseil, le Consistoire et tous les prédicants ; et si le ciel devient noir du côté de Paris ou de Versailles, une petite promenade de ses chevaux le mettra de l’autre côté de la frontière, faisant la nique au ministère, au Parlement et à l’Eglise. Un seul moment, en 1765, après la mort du chevalier de La Barre, il prendra sérieusement peur, et aura la velléité très passagère d’aller fonder une colonie de philosophes, une « manufacture de la vérité », avec une imprimerie, dans le pays de Clèves, qui appartenait au roi de Prusse.

Depuis 1760, il réside ordinairement à Ferney. Il s’y fait une installation opulente. Sa fortune est immense et va toujours grossissant. Il a des fonds dans le commerce et les banques[1], à Cadix, à Leipzig, à Amsterdam. Mais il place surtout ses capitaux disponibles en rentes viagères, à des taux élevés que lui assurent son âge et son « visage blême[2] » : il a pour débiteurs des seigneurs de France et des princes allemands, le maréchal de Richelieu, l’électeur Palatin, le duc de Wurtemberg : payeurs négligents, qui finissent pourtant par payer, avec qui on arrive à ne pas perdre plus qu’avec les juifs et les banquiers, et qui acquittent l’intérêt de leurs retards en réclame et en protection. Le notaire de Voltaire dit à Collé en 1768 que son client possède 80 000 livres de rentes viagères, 40 000 livres de bien-fonds et 60 000 livres de valeurs en portefeuille. En 1775,

  1. XXXVIII, 189.
  2. Collini, Mémoire».